Genre littéraire épistolaire

LETTRES À MON PÈRE

Bangkok,
Le 13 octobre 2000.

Cher Papa,

Aide-moi !! Pour l’instant, je n’ai que du travail, du travail et encore du travail !! Je sais que tu dois en avoir pas mal aussi… Mais non, tu dois sûrement en avoir beaucoup plus que moi.
Alors, comment vas-tu ?
Moi, j’aurai bientôt des examens très difficiles vers la fin du mois. En fait, Maman espère bien que j’aurai une bonne moyenne ce semestre. Je voulais lui dire que je m’en fiche des notes mais j’ai eu peur qu’elle me considère comme une fille paresseuse. Tu sais bien ce que j’en pense. Je souhaite apprendre ce que j’adore.
Mais, je ne peux pas faire selon ma volonté. Il faut faire selon la société, n’est-ce pas ? J’imagine que si dans notre société, on mangeait régulièrement des chats comme du riz de nos jours, je devrais en manger aussi! Personne ne pense à ceux qui aiment tellement les chats qu’ils ne pourraient rien manger?
Les mathématiques et la physique ne me plaisent pas du tout. Et je ne veux pas être docteur, ni ingénieur. Et que ferais-je dans la faculté de médecine ? Ma mère m’a dit qu’en étudiant ces matières-là on peut gagner beaucoup d’argent et qu’elle pourrait dire fièrement aux voisins et cousins que « ma fille est ingénieur », par exemple. Pourtant, je suis contente d’avoir eu l’occasion de choisir philo comme matière secondaire. Mais il y a une chose qui me gêne : à chaque fois que des gens me demandent ce que j’ai pris comme matière secondaire et que je le leur réponds, ils me disent qu’il n’y a aucun rapport entre la médecine et la philo. Mais je leur dis toujours, comme tu me l’as appris, que « si Newton est un homme, Aristote est aussi un homme ». Ensuite, quand je veux parler de la philo, tout le monde dit que c’est un sujet trop intellectuel. Je trouve que tout cela m’apporte des ennuis : les gens pensent que je n’ai pas les mêmes goûts que la majorité de mes camarades.
En fait, Papa, je veux bien être avec eux car j’aime avoir des amis. C’est dommage que mon sujet préféré ne les intéresse pas. Des fois, j’ai essayé d’être avec eux en disant et en faisant tout ce qui pouvait leur plaire mais j’ai sentie que je n’étais pas heureuse. Ce n’était pas moi. Ça, c’est embêtant et cela me fait envie d’aller ailleurs. Mais je serai seule, sans amis. Toi, tu as dû sûrement passer des moments pareils.
Que puis-je faire ?
Je t’embrasse très fort !
Ta fille bien-aimée.

Bangkok,
Le 1er janvier 2001.

Papa,

Bonne Année ! C’est dommage que tu ne puisses pas rester avec nous pour la fête chez Mémé. C’était bien comme toutes les années. Tout le monde est venu sauf oncle Odd. Les petits se sont collés aux micros et les grands les ont regardés avec admiration : ils arrivent déjà à chanter avec le karaoké! Fon a dormi chez nous après la fête mais elle est sortie très tôt ce matin. Elle m’a dit qu’elle avait mal dormi à cause du bruit des voitures qui passaient toute la nuit sur l’autoroute toute proche. Cela m’a fait penser que moi, je n’ai jamais remarque qu’il y avait tant de bruit que cela puisse empêcher quelqu’un de dormir chez moi, et en réalité, elle a raison. Et puis, je me suis rendue compte que, si Maman et moi avons un petit problème d’audition, c’est certainement à cause de cela. Mais c’est déjà bien de songer que Tam n’aura pas le même problème que nous car Maman a décidé d’acheter à crédit une petite maison dans la banlieue. « On ne vivra pas dans un appartement jusqu’à la fin de la vie » a dit Maman. Au fait, je trouve que Tam est trop gâté. Il n’a que 6 ans mais il a des centaines de jouets.
Ah oui, et toi, Papa, qu’est-ce que tu as fait là-bas pour les fêtes de nouvel an? J’ai cinq jours de vacances mais à part la fête chez Mémé , je n’ai rien fait que rester à la maison. Cela ne signifie pas que je l’aime, en fait. J’ai essayé de téléphoner à mes amies avec qui j’ai envie de sortir mais elles étaient déjà avec quelqu’un, à la mer, dans les montagnes ou bien en Europe. Je trouve que c’est malheureux de me retrouver toute seule au moment où on fait des fêtes. Si quelqu’un le sait, il va penser que les gens ne m’aiment pas…
Tu sais qu’à la fac, je vois souvent une fille que je ne connais pas. On se croise dans un couloir. Je lui souris mais elle ne me souris jamais. Elle ne me regarde même pas.
Ah ! Maman m’appelle… Je te laisse maintenant.
Gros Bisous,
Ta fille qui t’aime.

Bangkok,
Le 25 avril 2001.

Salut Papa,

Ça va ? Quel temps fait-il là-bas ? Comme tu le sais, ici il fait HYPER chaud. J’ai proposé à Maman d’aller à la piscine mais elle a refusé en disant qu’elle ne voulait pas sortir et qu’elle ne veut pas aller au soleil, et qu’elle préfère rester au frais à la maison. J’aimerais bien que tu sois là. Si c’était toi, je sais bien que tu serais sûrement sortir avec moi.
Malgré le soleil insupportable, j’ai remarqué que les Thaïs portent toujours des jeans. À chaque fois que je porte un short pour sortir dehors, Maman m’oblige à me changer pour mettre un pantalon. Et si je mettais simplement une jupe, qu’est-ce tu en penses ?
Au fait, il y avait le bizutage de mon groupe, la semaine dernière. Je n’y suis pas allée. J’ai déjà bien réfléchi et mon absence ne gêne personne. En fait, c’est à ceux de la 2e année à être responsables cette fois. Est-ce que tu sais comment ça marche entre ceux qui viennent de rentrer en 1ère année et les autres ? Ceux-là vont être divisés en plusieurs groupes par ceux-ci, pour qu’ils puissent avoir tout de suite des amis dès qu’ils font leurs premier pas à l’université. Tout au début j’étais bien excitée et je trouvais ça intéressant. Mais au retour du 1er bizutage de ma vie, j’ai vu cela autrement. Je n’aime finalement pas ce système. Penses-tu que ce soit naturel de mettre ensemble des gens qui n’aiment pas la même chose, contre leur volonté ? Je sais qu’on doit « faire semblant de » se montrer fort, de vivre ensemble de manière harmonieuse, de s’aimer bien et qu’on nous dit qu’il faut pouvoir mourir pour l’autre. Il paraît que cela rend le bizutage plus sacré. Mais je n’y suis pas allée cette fois et je n’y irai pas non plus l’année prochaine.
…Papa, est-ce que tu te souviens de Pat, ma copine de lycée ? On s’est vues il y a un mois environ, et elle m’a demandé de lui dire si elle a des défauts que je n’aime pas ou que je ne peux pas supporter. J’étais assez gênée mais elle a insistée. Finalement, je lui ai dit qu’elle était bavarde, obstinée, impertinente, idiote et qu’à chaque fois qu’elle parlait, on dirait qu’elle crie et que je voulais protéger mes oreilles en mettant mes mains sur elles. Depuis ce jour-là, lorsque je la rencontre, l’ambiance n’est plus pareille. On ne peut plus se parler comme avant. C’est bizarre, mais c’est vrai.
En fait, certains demandent aux autres à ce qu’on leur dise la vérité en face et comment on les trouve. Mais après avoir tout entendu, ils ne peuvent pas l’accepter et gardent de la rancoeur au fond d’eux-mêmes. Je regrette d’avoir dû répondre à sa question… même si ce que je lui ai dit, était vrai.
Tu me manques.
Grosses Bises,
Ta fille.

Bangkok,
Le 30 juin 2001.

Coucou Papa,

J’ai passé une super bonne journée ! Aujourd’hui, j’ai fini mes cours à midi et donc, je suis allée à la piscine avec Koi. On a beaucoup rigolé et j’ai fait des blagues. Après la piscine, on s’est installées à la bibliothèque. C’était vraiment bien; on y est restées pendant presque 2 heures : on s’était assises par terre, feuilletant nos livres préférés; enfin , « mes » livres préférés. En fait, elle ne lit pas beaucoup, et on a des goûts différents sur beaucoup de sujets. Pourtant, on s’entend très bien et je m’amuse bien quand je suis avec elle. Je me souviens d’un jour où, il n’y avait pas longtemps que je l’avais rencontrée, j’ai fait tombé une bouteille d’encre et cela a fait une grosse tache sur mon dictionnaire. Je ne savais pas quoi faire et soudain Koi l’a essuyé avec son joli mouchoir. C’est un moment que je n’oublierai jamais.
Quand je suis avec elle, je suis très à l’aise et je peux faire des blagues; tandis qu’avec les autres, je n’arrive pas à les faire rire et à m’amuser.
Peut-être que je n’en ai pas envie. Qu’est-ce que tu en penses, Papa ?
Je t’embrasse. Ta fille.

Bangkok,
Le 18 août 2001.

Cher Papa,

Ce matin, j’ai croisé la fille dont je t’ai déjà parlé. Elle ne m’a pas souri comme toutes les autres fois alors j’ai décidé de ne pas lui sourire non plus.
Dès que je suis arrivée chez moi cet après-midi, j’ai entendu quelqu’un qui criait « Mais qu’est-ce que tu fais encore ? Enlève ces plantes horribles! Elles me gênent quand je passe !» C’était un locataire qui venait de passer devant l’appartement de l’oncle Tid, qui habite à côté de chez moi. Mais tu vois, Papa, ce qu’il a fait ? J’ étais donc en colère mais oncle Tid ne disait rien et je lui ai souri seulement. Je ne comprenais pas et puis il m’a expliqué « le fait qu’il ne m’aime pas n’est pas une raison pour que je ne l’aime pas non plus. C’est pour ça que je vis heureux dans cet immeuble.»
Je n’ai jamais oublié ses paroles et puis je commence à comprendre pourquoi je ne pouvais pas être ce « moi » qui aime faire des blagues et faire rire les autres.
C’est peut-être que je pense que je ne les aime pas.
C’est ça, Papa ?
À bientôt. J’ai besoin de toi.

Bangkok,
Le 19 juillet 2001.

Finalement, j’ai parlé avec Jib, la fille du couloir. C’était marrant parce que le premier jour que j’ai pu parlé avec elle, c’est moi qui ai marché vers elle et qui lui ai dit bonjour. Elle m’a fait un grand et gentil sourire… Comment j’aurais pu savoir qu’elle était myope ? Et qu’elle n’a jamais vu les sourires que je lui adressais à cause de cela ? Tu te rends compte !?
C’est elle qui m’a fait comprendre l’idée que tout dépend de moi-même, de comment je regarde les autres et pas de comment les autres me regardent. Je ne m’inquiète plus de ce que les gens peuvent dire de moi.
Maintenant je suis très heureuse de faire ce que je désire. Tous les jours sont précieux. Après les cours, Nok va au club de tennis, Aom va chez les disquaires; moi, je vais à la bibliothèque avec les autres et on s’entend très bien. Il ne faut pas se demander « pourquoi on ne s’intéresse pas aux mêmes choses » mais il faut se demander pourquoi on ne s’accepte pas l’un l’autre, avec nos idées.
Je trouve aussi que moi, je suis agréable sans que quelqu’un ne me le dise. Il n’y a pas longtemps, Maman m’a parlé, pour la première fois, de mon père. Elle m’a demandé aussi mon opinion sur le fait d’avoir seulement une mère depuis que je suis née.
Je lui ai souri et dit simplement que je l’aime.
Adieu Papa.

Lettre a mon pere
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