Des contributeurs au service de l’intelligence collective

Cinématographie, FLE et TICE, le concept de CinemaTICE en interaction

CinemaTICE : contexte d’introduction

Reprenons les mots de Bernard Stiegler, médiologue et philosophe, ancien directeur de l’I.N.A., actuel directeur de l’IRI (Institut de recherche et d’innovation), professeur à l’université de technologie de Compiègne : « l’innovation n’est plus seulement conçue par le haut, par des ingénieurs et du marketing, mais émerge de réseaux, d’échanges de savoirs, d’amateurs passionnés. On parle désormais d’intelligence collective. Il n’y a plus alors de producteurs et de consommateurs, mais des contributeurs. »

Or si depuis quelques années, grâce aux apports des T.I.C.E. l’enseignement du français langue étrangère a évolué et s’est diversifié, passant d’une pédagogie de transmission des savoirs in cathedra à une pédagogie constructiviste voire cognitiviste pour les modèles les plus récents, l’apprenant se construit désormais par lui-même. Il traite l’information, étoffe et organise son savoir par la découverte de notions qu’il consolide ensuite par la coopération et la collaboration autour de projets communs. Dans le même temps, il se confronte à son environnement et à ses pairs, sorte de « bain » de savoirs et savoir-faire où chacun peut ainsi contribuer à son propre apprentissage comme à celui de l’autre. Les institutions, les différentes réformes et politiques ont usé et parfois abusé de termes tels que pédagogie active, pédagogie actancielle et pédagogie de projet pour définir des situations d’apprentissage où l’apprenant se retrouvait au cœur du processus d’acquisition, mais elles sont toujours en retard avec la réalité. En effet, il manque un élément essentiel pour être en phase avec l’apprenant d’aujourd’hui : son usage permanent ou quasi-permanent des nouvelles technologies, jusqu’à celles qui tiennent dans la poche, sous la forme d’un téléphone portable… L’avenir est au développement de ces terminaux où l’Internet mobile haut débit sera capable de passer en clair des médias gros consommateur d’octets tel que le film de cinéma.

Dans un processus d’apprentissage tel que nous le concevons, la médiatisation des savoirs – au sens où l’entend David H. Jonassen (Mediation of Learning, in “Computers as Mindtools for Engaging Learners in Critical Thinking” 1998) – prend alors toute son importance. Une médiation par des outils cognitifs externes technologiques procure autant de ressources intelligentes avec lesquelles l’apprenant collabore de manière cognitive dans la construction de ses connaissances. Par conséquent, plutôt que de développer pour l’apprentissage du matériel informatique et multimédia surpuissant, il vaut mieux développer des outils qui facilitent le processus de la réflexion, qui engagent des interactions, qui suscitent des échanges. La cinématographie, par la richesse cognitive qu’elle offre, entre tout à fait dans ce processus d’apprentissage éclairé. Elle est particulièrement riche en représentations textuelles et audiovisuelles et invite naturellement au concept de classe enrichie où les T.I.C.E. constituent une plus-value intéressante. Il est aussi un des médias les plus appréciés d’un public jeune gros consommateur de technologies, mais aussi est accessible à tous les publics. Par ailleurs, le nombre sans cesse croissant d’éléments filmiques véhiculés par des sites tels que Dailymotion ou YouTube pour ne citer que ceux-ci procure tout le matériau nécessaire au projet CinemaTICE.

Génèse du projet :

CinemaTICE est ainsi né d’un triple constat :

  1. Formateur par l’audiovisuel en entreprise, enseignant de français langue étrangère et concepteur d’un cours de cinéma à l’université pour apprenants étrangers, nous avons compris depuis longtemps que les ressources en éléments cognitifs et métacognitifs de la cinématographie, dans le sens le plus large, c’est-à-dire narratif et descriptif bien sûr, mais aussi sociologique, culturel, géographique, historique etc., comportaient de nombreuses médiatisations possibles pour la formation et l’enseignement du F.L.E. Il s’agissait alors de trouver la meilleure adéquation entre les objectifs des uns avec les ressources des autres.
  2. Celui du rapprochement de l’internaute avec le médiatiseur de savoir, grâce notamment aux outils d’enseignement EAD/FOAD mais aussi du Web 2.0. Ainsi les microblogues ou miniblogues du type Facebook ou Tweeter prennent toute leur importance dans le maillage d’un réseau de contributeurs. Non seulement le tuteur apporte les ressources qu’il sélectionne en fonction de leur qualité ou de l’actualité – ce qui engage un suivi journalier de la part des intervenants – mais les réponses et commentaires apportés sont autant d’éléments cognitifs intéressants. On peut tout à fait avoir des apprenants qui apportent une expérience personnelle à partager en fonction de l’élément déposé, d’autant plus intéressant d’ailleurs qu’il provient d’un contributeur éloigné, géographiquement et culturellement. Il se crée une communauté active d’apprenants du monde entier, échangeuse de ressources.
  3. Les nouveaux modes de fonctionnement des apprenants. Ceux-ci se connectent sur Internet à toute heure du jour et de la nuit, pianotent sur leur téléphone mobile, échangent par réseaux sociaux d’où l’idée de monter des modules pour une plateforme dédiée à l’enseignement du français, qui utilise les moyens de communication plébiscites par les étudiants à savoir Messagerie instantanée, Réunion synchrone, Courriel, Forum, Foire aux questions), de travail collaboratif (Production par Wiki, Forum, Dépôt de document) et les réseaux sociaux.

CinemaTICE a été donc conçu tout naturellement comme un module alliant cinéma, FLE et TICE, afin d’être implémenté dans un contexte de développement de contenus pour la société e-FLE spécialisée dans la formation à distance, dont le siège social se trouve à Singapour. E-FLE a mis en place la plateforme Horizon pour dynamiser l’usage des technologies de l’information et de la communication dans le domaine de l’enseignement du français. Horizon donne aux utilisateurs l’impression de pénétrer dans un véritable lieu de vie et de travail et ainsi, de diminuer le sentiment d’isolement très souvent ressenti par les apprenants lors des formations à distance ; ce sentiment est reconnu, comme étant une des causes principales des abandons. Horizon est une interface fondée sur une métaphore spatiale qui met en scène les lieux habituels d’un centre de langues, assigne des fonctions à ces lieux et intègre des outils qui favorisent les échanges et les interactions sociales. Ce partenariat et plusieurs rencontres avec des professionnels de différents domaines mais ayant tous suivi un parcours de formation à distance de type Uticef [Utilisation des Technologies de l’Information pour l’Enseignement et la Formation] ont été déterminants, notamment des concepteurs de projets pédagogiques de français langue étrangère.

Objectifs du projet :

Un des premiers objectifs a été de remotiver les apprenants pour le français et de remédier à leurs difficultés d’apprentissage, ceci dans un contexte qui n’est pas favorable à la langue française. Mais si la mondialisation tend à appauvrir le langage de communication, elle ouvre des perspectives, celle par exemple de permettre une appréhension de la langue en contexte quasi réel avec des documents authentiques sur le cinéma. Comme on peut le voir sur le document ci-après, les éléments sont nombreux et variés, pouvant s’articuler sur les compétences requises lors de l’apprentissage d’une langue étrangère. Le CECR (Cadre européen commun de référence pour les langues…) en distingue 6.

Méthodologie :

D’abord, il faut identifier les ressources que sont les documents textuels et iconographiques, les vidéogrammes, audiogrammes, et animations multimédia ; puis s’enquérir des conditions de droits d’utilisation. Les accords du ministère de l’Éducation nationale avec les sociétés de gestion des droits audiovisuels autorisent la courte citation, et le protocole d’accord transitoire signé en 2006 au moment du vote de la loi Dadvsi (relative au droit d’auteurs et droits voisins dans la société de l’information) a été prolongé pour l’année 2009.

La deuxième étape consiste à procéder à une analyse sémantique et hiérarchique des contenus des ressources par extraits sonores, visuels, textuels selon les connaissances à acquérir en harmonisation avec le Cadre européen commun de référence pour les langues ; puis, structurer le contenu selon ses éléments linguistiques, métalinguistiques, culturels et conceptuels. On se rapprochera de la taxinomie de Umberto Eco sur les niveaux de lectures d’une œuvre d’art, qui en compte 5.

  1. Un niveau iconique qui identifie et reconnaît les êtres et les objets représentés.
  2. Un niveau iconographique qui repère la signification de ces objets culturellement codés.
  3. Un niveau tropologique qui reconnaît les figures de style.
  4. Un niveau topique qui permet des groupes d’argumentations possibles.  Ex. Dans un processus publicitaire, un homme a de l’embonpoint ; il boit une boisson X ; il redevient svelte et est accompagné à l’image d’une jeune et jolie femme => si vous-mêmes êtes un peu rond, buvez X et par conséquent vous serez à nouveau désirable.
  5. Un niveau enthymématique dans lequel ce n’est pas l’image qui porte la rhétorique mais le verbal implicite qu’elle suggère.

Enseignements et perspectives :

Du point de vue de la conception de scénario pédagogique, l’apport de la cinématographie est une plus-value à l’acquisition de la langue. La richesse de ses éléments n’a de contrainte qu’une adéquation la plus rigoureuse possible de ceux-ci avec les outils d’échanges et de communication. Que ce soit au niveau d’un site ou d’un blogue par l’intégration d’une vidéo, ou au niveau d’un réseau social par l’adjonction d’un lien, la recherche et développement de ressources de ce type enrichissent tout type de plateforme.

Du point de vue du tutorat si on considère un enseignement à distance traditionnel ou du destinateur de ressources si on considère le microblogue pédagogique, l’anticipation et la proactivité indispensables au suivi régulier des internautes inscrits ou souscripteurs de comptes, est particulièrement  chronophage. Il implique des principes de proximité proche parfois du compagnonnage, ce qui sous-entend une implication et un suivi régulier des activités de chacun.

Or le Web 2.0 et les réseaux sociaux offrent un nombre incalculable de choix et un flot permanent des informations et des images. On sait que l’internaute est versatile, qu’il survole plutôt que lire des pages et des pages sur Internet. Le microblogue permet au moins une compréhension écrite plus ciblée et une expression et interaction écrites immédiates. On peut s’interroger sur la qualité de l’écrit et sur l’absence de correction, mais il paraît évident que cette diffusion de messages scripto-visuels sans complexes incite à la lecture et à l’écriture, qu’il est tout à fait possible ensuite de relayer par un exercice de remédiation sur un site ou une plateforme prévus à cet effet. Le microblogue est donc une sorte de teaser, d’aguiche vers une solution plus pérenne et qui doit permettre d’ancrer les éléments cognitifs, car dans ce monde où il y a explosion des informations médiatisées, la captation de ce nouveau type d’internaute doit impérativement passer par l’écrit, seule véritable mnémotechnologie ; la cinématographie, là encore a ce merveilleux pouvoir : avant de projeter un film, ne faut-il pas en écrire le scénario ?

Ressources

Bibliographie, sitographie, webographie

  • « L’œuvre ouverte » Umberto Eco 1962 Seuil
  • « Technology as Cognitive Tools : Learners as Designers » – David H. Jonassen
  • « Médias et Société, de Gutenberg à Internet » Francis Balle 1997 Paris
  • « Pour en finir avec la mécroissance – Quelques réflexions d’Ars Industrialis » Bernard Stiegler, Alains Giffard, Christian Fauré 2009 Flammarion
  • http://www.zerodeconduite.net/index.php?p=accueil Zéro de conduite est un site sur le cinéma réalisé par des enseignants à destination des enseignants. Il a pour vocation de défendre et de promouvoir l’utilisation du cinéma comme outil pédagogique. Il prend appui sur l’actualité la plus vivante, sans négliger les films de répertoire.
  • http://site-image.eu/index.php le Site Image produit par le CNC, met à disposition de tous ceux qui font de l’éducation à l’image un catalogue riche de 350 documentaires autour du cinéma, de l’audiovisuel et des médias dont certains viennent directement faire écho aux films des dispositifs scolaires. Les plus grands documentaristes y sont également représentés.
  • http://www.fncf.org/updir/2/partenariat_cinema.pdf document du ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et qui se veut un outil d’information, de stimulation et de rapprochement afin de faciliter la mise en œuvre de projets communs en précisant pour chacun des partenaires concernés les contenus et les enjeux de formation, les publics visés, les modalités de travail et de fonctionnement, les principales ressources et les outils d’accompagnement.
  • http://www.fadben.asso.fr/spip.php?article78 entretien dans la revue Médiadoc n°2 – Avril 2009 de la FADBEN (Fédération des enseignants-documentalistes de l’Education Nationale) avec Bernard Stiegler sur le thème de l’Éducation aux médias et à la culture de l’information.

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