Écriture et littérature
Travailler la lettre personnelle à la manière précieuse
Dans une lettre personnelle, on peut distinguer en littérature plusieurs types : l’effusion sentimentale, le conseil, l’invective, le récit, la confidence. Certains auteurs ont particulièrement usé d’un type afin de créer un effet de profusion, comme dans cette lettre de Mme de Sévigné où la curiosité du destinataire est sans cesse mise à contribution.
- que révèle le contexte (date, lieux, signataire et destinataire) ?
- quel est le degré d’implication de l’émetteur et du récepteur ?
- quel type de relation la lettre manifeste-t-elle entre les deux interlocuteurs ?
- en quoi le langage (vocabulaire, syntaxe) est-il spécifique à ce type d’échange ?
Lettre de Mme de Sévigné à Mme de Grignan
A Paris, ce lundi 15 décembre 1670
« Je m’en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus digne d’envie : enfin une chose dont on ne trouve qu’une telle dans les siècles passés, encore cet exemple n’est-il pas juste ; une chose que l’on ne peut pas croire à Paris (comment la pourrait-on croire à Lyon ?); une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde ; une chose qui comble de joie Mme de Rohan et Mme d’Hauterive ; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue ; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à la dire ; devinez-la : je vous la donne en trois. Jetez-vous votre langue aux chiens ? Eh bien ! il faut donc vous la dire : M. de Lauzun épouse dimanche au Louvre, devinez qui ? Je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix ; je vous le donne en cent. Mme de Coulanges dit : Voilà qui est bien difficile à deviner; c’est Mme de la Vallière. – Point du tout, Madame. – C’est donc Mlle de Retz ? – Point du tout, vous êtes bien provinciale. – Vraiment nous sommes bien bêtes, dites-vous, c’est Mlle Colbert ? – Encore moins. – C’est assurément Mlle de Créquy ? – Vous n’y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire : il épouse dimanche, au Louvre, avec la permission du Roi, Mademoiselle, Mademoiselle de…, Mademoiselle… devinez le nom : il épouse Mademoiselle, ma foi ! par ma foi ! ma foi jurée ! Mademoiselle, la grande Mademoiselle ; Mademoiselle, fille de feu Monsieur ; Mademoiselle, petite-fille de Henri IV ; mademoiselle d’Eu, mademoiselle de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d’Orléans ; Mademoiselle, cousine germaine du Roi ; Mademoiselle, destinée au trône; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur. Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu’on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer ; si enfin vous nous dites des injures : nous trouverons que vous avez raison; nous en avons fait autant que vous.
Adieu ; les lettres qui seront portées par cet ordinaire vous feront savoir si nous disons vrai ou non.»
Pour aller plus loin => La lettre, genre masculin et pratique féminine
Source littéraire : MAGISTER
Grand Dictionnaire des Prétieuses
Travail sur la structure de la lettre :
ETAPE 1 – Susciter une envie de savoir – Énonciateur (je) + verbe déclaratif + nom (la chose) + superlatif (le plus) + adjectif qualificatif (au minimum 15) ; nom (une chose) + pronom relatif + verbe (5 propositions)
ETAPE 2 – Désappointement – Après avoir fait appel à la curiosité, finalement, ne rien dire.
ETAPE 3 – Entretenir le suspense – Faire deviner. Donner sa langue au chat.
- Donner des indices par bribes : le lieu et la date ;
- Proposer des choix, tous démentis ;
- Faire la révélation finale en précisant de différentes manières la qualité de l’objet afin d’ôter toute possibilité d’erreur.
EXEMPLES
1. Lettre de Tarnrin
A Nice, ce lundi 15 décembre 1670
Puis-je vous chuchoter la chose la plus belle, la plus formidable, la plus magnifique, la plus surprenante, la plus miraculeuse, la plus joyeuse, la plus splendide, la plus superbe, la plus somptueuse, la plus agréable, la plus remarquable, la plus exeptionnelle, la plus plaisante, la plus satisfaisante, la plus vivante ; une chose qui va vous faire sourire ; une chose qui va vous faire rire ; une chose que vous ne pouvez raconter à personne ; une chose que vous attendez depuis longtemps ; une chose qui va vous faire chanter pour toute la journée ? Pourtant, c’est une chose dont je ne peux rien dire ; je ne peux que vous laisser la deviner. Bon, vous ne pouvez pas la trouver ? Alors, je vais vous donner quelques indices : M. de la Fontaine est tombé amoureux à Paris le mois dernier de… De qui ? Je vous offre quelques choix : Mme de Bourbon – Non, pas du tout, Mme de Rozier – Non, pas encore, Mme d’Avignon – Non, pas exactement. Alors, je dois vous le dire : il est tombé amoureux de…., de Mademoiselle…, devinez ce qui c’est : il est tombé amoureux de Mademoiselle, fille de M. de la Champagne ; petite soeur de Mme de Nice ; Mme d’Alsace, Mme de Bouquet, Mademoiselle, la seule que M. de la Fontaine peut aimer.
Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu’on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer ; si enfin vous nous dites des injures : nous trouverons que vous avez raison ; nous en avons fait autant que vous.
Adieu ; les lettres qui seront portées par cette ordinaire vous feront savoir si nous disons vrai ou non.
2. Lettre de Thanayanuch
À Bangkok, ce samedi 30 janvier 2010
Je brûle du désir de vous crier la chose la plus surprenante, la plus étonnante, la plus confondante, la plus incroyable, la plus extraordinaire, la plus excellente, la plus formidable, la plus magnifique, la plus grande, la plus impressionante, la plus excitante, la plus rare, la plus inexplicable, la plus amusante, la plus digne de celebration ; une chose qui apporte une joix à toute ma famille; une chose qu’il était impossible d’annoncer l’année dernière ; une chose dont je suis très fière ; une chose que je considère comme une récompense pour ma persévérance. Il n’est pas intéressant de vous la dire tout simplement. Il faut d’abord que vous la deviniez : je vous le donne en trois. Jetez-vous votre langue aux chats ? Eh bien ! Il faut donc vous la dire : je partirai pour la France cette année parce que j’ai gagné quelque chose, devinez quoi. Je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Le premier prix de loterie ? – Point du tout, cela ne concerne pas ma persévérance. Le cœur d’un millionnaire français ? – Encore moins, vous êtes trop imaginatif. Le poste d’une entreprise prestigieuse française ? – Vous n’y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire : pour poursuivre mes études en France, j’ai gagné une bourse du gouvernement français ; une bourse que l’on surnomme « la bourse Eiffel » ; une bourse qui permet aux étudiants étrangers de rester en France pour 2 ans ; une bourse qui est très difficile à obtenir.
Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu’on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer ; si enfin vous nous dites des injures : nous trouverons que vous avez raison; nous en avons fait autant que vous.
Adieu : les courriels vous feront voir si nous disons vrai ou non.
3. Lettre de Nattika
Je voudrais vous clamer la chose la plus fabuleuse, la plus agréable, la plus aimable, la plus spectaculaire, la plus sérieuse, la plus magnifique, la plus amusante, la plus terrible, la plus horrible, la plus irrégulière, la plus irrépressible, la plus douce, la plus ordinaire, la plus fantastique, la plus catastrophique : une chose qui vient toutes les années ; une chose que certains ont du mal à vivre mais mais dont certains ont envie ; une chose qui est brillante ; une chose que l’on ne peut pas manger; une chose que l’on ne peut pas trouver en Thaïlande mais au pôle Nord. Je ne me permets pas de vous le dire, à vous de la deviner. Vite vite la réponse ! Rien…rien…rien… Bon ! Il faut donc vous le dire ; cette chose-ci est déjà arrivée dans les pays du Nord cette année, devinez quoi, quelques indices pour vous. Une météorite? – Pas du tout. Une étoile ? –Pas tout à fait. Une pluie de criquets ? –Pas tellement. Enfin, je vous la dis : cette chose est blanche. Elle peut nous faire attraper froid et elle tombe en hiver.
Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti , que cela est faux, qu’on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer; si enfin vous nous dites des injures: nous trouverons que vous avez raison; nous en avons fait autant que vous.
Adieu : les courriels vous feront voir si nous disons vrai ou non.
4. Lettre de Chalisa
A Bangkok, ce mercredi octobre 1960
Je m’en vous révéler la chose la plus incroyable, la plus impossible, la plus formidable, la plus embarrassante, la plus surprenante, la plus curieuse, la plus insupportable, la plus chanceuse, la plus interdite, la plus belle, la plus laide, la plus disgracieuse, la plus indiscrète, la plus extraordinaire, la plus sensationnelle, la plus romantique : enfin une chose qu’on n’a jamais faite dans notre siècle ou qu’on ne peut croire à Bangkok (comment la pourrait-on croire à Paris ?) ; une chose qui fait crier extrêmement tous les professeurs de l’Alliance française ; une chose qui inquiète tous les parents ; une chose qui fait un grand effet sur la relation entre nos deux pays ; une chose enfin qui se fera vendredi nuit. Vous devez découvrir la réponse par vous-même ; devinez-la : Je vous donne des indices. Laissez-vous la lettre aux pigeons ? Eh bien ! il faut donc vous la dire : M. de Laurent, le professeur français de Bordeaux, s’enfuira vendredi minuit à Paris avec, devinez qui, je vous le donne en cinq. Mme de Clément dit : la plus belle. C’est donc Mlle de Chirac ? Point du tout, la Thaïlandaise ? c’est Mlle de Rakkarndee ? Point du tout, la mineure ? Mlle de Siripong ? Encore moins, dans la haute-société ? C’est Mlle de …? Il faut donc à la fin vous le dire : il s’enfuira vendredi minuit, à Paris, avec une jeune fille du haut pouvoir du pays, mademoiselle … devinez le nom.
Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu’on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer ; si enfin vous nous dites des injures : nous trouverons que vous avez raison ; nous en avons fait autant que vous.
Adieu ; les lettres qui seront portées par les PTT vous feront savoir si nous disons vrai ou non.
5. Lettre de Rampa
A Bangkok, ce samedi 30 janvier 2010
Je m’en vous révéler la chose la plus stupéfiante, la plus excitante, la plus incroyable, la plus invraisemblable, la plus amusante, la plus heureuse, la plus renversante, la plus fantastique, la plus merveilleuse, la plus ahurissante, la plus effarante, la plus surprenante, la plus joyeuse, la plus agréable, la plus impressionnante ; enfin une chose que l’on ne trouve qu’un exemple dans ma vie passée, une chose qui me fait plaisir : une chose qui me rend heureuse, une chose qui est un cadeau précieux, une chose qui est le symbole du sexe féminin, une chose qui affaiblit mon inquiétude. Je ne puis me résoudre à la dire ; trouvez-la : je vous le donne en trois ; jetez-vous votre langue au chat ?
Eh bien ! Vous ne trouvez pas ! Il faut donc vous la dire : j’ai obtenu un cadeau spécial depuis trois mois, devinez quoi, je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Un cadeau très spécial ; un billet aller-retour au Pérou ? – Point du tout. Une parure de Chaumet ? – Encore moins. L’héritage de ma grand-mère pour une somme de cent millions de bahts ? – Vous n’y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire : notre famille va s’agrandir. Et puis il faut attendre jusqu’à 9 mois. Je suis enceinte de trois mois.
Il y a trois triplées dans mon ventre. Il y aura beaucoup de Madame de Sévigné maintenant.
Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela faux, qu’on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer ; si enfin vous nous dites des injures : nous trouverons que vous avez raison ; nous en avons fait autant que vous.
Les courriels vous feront voir si nous disons vrai ou non.
Madame de Rampha, Lettres, Lettre à Monsieur de Volpini, 30 janvier 2010
6. Lettre de Suwanna
Je m’en vais vous hurler la chose la plus affreuse, la plus dangereuse, la plus effrayante, la plus effroyable, la plus épouvantable, la plus étourdissante, la plus exécrable, la plus hideuse, la plus horrible, la plus menaçante, la plus nocive, la plus nuisible, la plus périlleuse, la plus redoutable, la plus terrible : enfin une chose dont on ne trouve qu’un exemple dans la maison ; une chose qui me fait terrifier ; une qui est agressive ; une chose qui est horrifiante ; une chose qui est méchante. Je ne puis me décider à la dire ; imaginez-la : je vous le donne en trois. Vous ne trouvez pas ? Je vous donne des indices : hier, il y avait une créature dangereuse qui est entrée dans le salon chez moi, lorsque je me reposais sur un canapé, devinez quoi, je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Ma sœur dit : « Voilà quoi est très difficile à deviner ; c’était un fantôme ». – Point du tout, Madame. C’était donc un tigre ?
Point du tout. Alors, je vous donne un indice ; c’était un reptile.
Si, vous pensez que c’était un crocodile. Non,point du tout, il était plus petit qu’un crocodile. C’était un lézard ? – Point du tout, encore. Il faut donc à la fin vous le dire : c’était un serpent vert. Il rampait lentement, s’approchait de moi, c’était affreux ; heureusement quelqu’un m’a aidé, devinez qui, je vous le donne en cinq. Vous ne voyez pas ? En bien ! je vous donne encore des indices : c’était mon héros, il est unique dans la maison, c’est un amour, vous l’avez déjà rencontré. Le trouvez- vous ? Voilà….certainement, c’était Mouhyogn, mon petit caniche.
7. Lettre de Sweeya
A Paris, ce lundi 15 décembre 2009
Je m’en vous révéler la chose la plus superbe, la plus extravagante, la plus fantastique, la plus impeccable, la plus parfaite, la plus impossible, la plus imprévisible, la plus amusante, la plus compliquée, la plus bizarre , la plus exceptionnelle, la plus signifiante, la plus pure, la plus en vogue, la plus générale : enfin une chose que l’on ne peut pas croire aujourd’hui ; une chose qui fait murmurer toute la société des femmes ; une chose qui va changer votre point de vue ; une chose qui se fera dimanche. Devinez ! Vous ne trouvez pas ?
M. B.P. va divorcer de son épouse A.J. Mais savez-vous vers qui il s’est déjà tourné ? Peut-être une amie de son passé. Il pourrait s’ennuyer des filles avec les cheveux foncés et pourrait retourner vers les filles aux cheveux blonds parmi celles que vous connaissez, mais avec qui ? Celle aux yeux bleus ou celle aux yeux verts ? Peut-être y en a-t-il plus que nous le sachions. Mais la fille avec les yeux verts attend un bébé de son nouvel mari. Celle aux yeux bleus s’est séparée de son nouveau copain et pleure d’amour pour B.P. Rien n’est moins sûr. Voici venir une rousse, et peut-être voudrait-il y voir un changement. Mais savez-vous qui ? Quelqu’un du genre de Nicole Kidman ?
Rien de tout ceci. La nouvelle pourrait te causer un choc : il vit avec des Brésiliens. Non, il n’y a pas d’erreur ; ni d’accord, de genre ou de nombre. Il vit avec deux Brésiliens tout à fait mâles…
Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu’on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer ; si enfin vous nous dites des injures : nous trouverons que vous avez raison ; nous en avons fait autant que vous.
Adieu : les commentaires vous feront voir si nous disons vrai ou non.